Demain, la ville africaine

Retour sur le cycle de débats organisés en partenariat avec Le Monde.

Le 9 décembre 2021 s’est tenue au siège du journal Le Monde à Paris la conférence “De Rabat au Cap : l’Afrique continent durable du XXIIème siècle” : la conclusion d’un cycle de débats organisés dans le cadre de l’opération “Demain, la ville africaine”, un partenariat entre Le Monde Afrique et CITIES avec l’Institut Veolia. Retour sur les principales étapes et les enseignements de ces rencontres, autour des enjeux de l’urbanisation africaine.

Changer de regard sur l’Afrique d’aujourd’hui

Avant tout exercice prospectif sur la “ville de demain”, il est essentiel de disposer de données actualisées, pour comprendre la réalité actuelle de l’urbanisation en Afrique. 

  • Lors de la deuxième étape du cycle à Abidjan, François Yatta, directeur des programmes de CGLU Afrique (Cités et gouvernements Locaux Unis) a rappelé que la moitié de la population africaine est déjà urbaine aujourd’hui. Il est nécessaire de faire évoluer les représentations datées d’un continent qui serait majoritairement rural.

  • Autre préjugé : celui d’une urbanisation qui se réduirait à la croissance effrénée de mégalopoles concentrées sur les littoraux. C’est tout l’enjeu du travail d’actualisation des données mené par François Moriconi-Ebrard, chercheur au CNRS, avec Africpolis et le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.  Aujourd'hui, 210 millions d'Africains vivent dans l'une des 1 400 villes intermédiaires du continent ; et 75 % des populations urbaines en Afrique vivent à l’intérieur du continent.
  • Comme le dit François Yatta, il faut également passer de la “ville officielle à la ville réelle” en se défaisant de perceptions biaisées sur le secteur informel. En mobilisant des approches sociologiques, on acquiert une meilleure compréhension des organisations sociales et culturelles, souvent inspirées du modèle des villages africains. Il faut faire la ville avec l’informel, comme y invite l’architecte ivoirien Issa Diabaté.

>> Retrouvez l’éditorial de Maryline Baumard, directrice adjointe de la rédaction du Monde et l’analyse en vidéo de l’urbaniste et architecte Jérôme Chenal.

Le défi de l’accès aux services essentiels

En Afrique subsaharienne en particulier, l’atteinte de l’ODD 6 (garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable) et l’ODD 7 (garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable) à horizon 2030 est loin d’être acquise. C’était l'objet du premier débat du cycle à Rabat, qui a dressé un état des lieux sur des situations très contrastées selon les régions (Afrique du Nord, Afrique australe, Afrique de l’Ouest et de l’Est) et selon les services concernés (eau, assainissement, gestion des déchets, électricité, mobilité, etc). 

  • Deux problématiques sont particulièrement ressorties de ce débat :
    • l’organisation du service : centralisé ou décentralisé ? 
    • et les modèles de financement : publics, privés, PPP ?
  • Messages clés retenir des interventions de Sylvy Jaglin (Laboratoire technique Territoires et Sociétés), Moncef Ziani (Conseil Economique, Social et Environnemental du Maroc), Christophe Angely (Fondation pour les études et recherches sur le développement international) et Driss Benhima, ancien directeur général de l’Office National de l'Électricité (ONE) :
    •  l’exigence d’une ville au bénéfice de tous ;
    • le pragmatisme dans la recherche de solutions adaptées à des contextes divers et mouvants. Par exemple la gestion multi-services et l’hybridation entre réseau et hors réseau ;
    • et la nécessité de mesurer les impacts, pour orienter les financements.
  • La question de la gouvernance est également centrale. Quelle est la bonne échelle pour penser les services essentiels: nationale, régionale, locale ? Comment co-développer l’urbain avec le rural ? À Abidjan, les témoignages des maires de Bouaké et de San Pedro (Nicolas Djibo et Félix Anoblé) ont permis d’illustrer la nécessité d’une décentralisation qui donne aux collectivités les moyens d’agir, pour un urbanisme qui réponde aux besoins des habitants. Ils ont beaucoup insisté sur la notion de coopération : 
    • coopération entre villes intermédiaires et mégalopoles - la croissance des unes contribuant à désengorger les autres ;
    • coopération des villes intermédiaires entre elles, pour créer un réseau, partager des bonnes pratiques, notamment en termes de résilience face aux risques climatiques ;
    • et coopération internationale, à travers des jumelages, qui peuvent être de précieux appuis. 

>> Retrouvez les articles du Monde Afrique dédiés aux villes de San Pedro (Côte d’Ivoire), Diamniadio (Sénégal) et Kinshasa (République démocratique du Congo). 

La transformation écologique des territoires

Quels que soient les contextes géographiques, les défis environnementaux  (réchauffement climatique, rareté des ressources, pollution et la perte de biodiversité), mais également sociaux, se posent de manière cruciale à l’échelle de la ville. Ils nécessitent une transformation des modes de production et de consommation. 

  • L’un des piliers de cette transformation, c’est l’économie circulaire. Comme l'ont expliqué Edouard Yao et Jocelyne Landry Tsonang du Réseau Africain d’économie circulaire (l’ACEN) dans l’émission réalisée par le Monde ainsi qu’Alexandre Lemille à Abidjan, le continent dispose de nombreux atouts pour faire advenir une économie circulaire et inclusive. Elle s’appuie sur des gestes et traditions de partage, réutilisation, réparation, refabrication, qui sont encore très présents en Afrique, et qu’il faut valoriser car ces pratiques créent non seulement de l’emploi local, mais elles participent aussi à la résilience des territoires.
  • Les principes de l’économie circulaire doivent être intégrés de manière systémique, dès le départ, au stade de la conception des produits, des infrastructures, des villes, des systèmes agricoles : approvisionnement durable, éco-conception, écologie industrielle, analyse du cycle de vie, recyclage…  Ce cycle de débats a mis en lumière des exemples concrets de mise en œuvre de ces principes dans de nombreux secteurs : 
    • Salima Naji, architecte et urbaniste, a présenté le travail qu’elle mène autour des matériaux de construction locaux, biosourcés et adaptés aux conditions climatiques, comme la terre crue.
    • Côté industriels, Nabil Touzani a montré comment Renault Maroc utilise l’économie circulaire pour décarboner la chaîne de valeur de la mobilité. A Tanger, l’usine Renault opérée par Veolia, fonctionne grâce à la récupération de grignons d’olives chez les agriculteurs marocains.
    • S’agissant d’agriculture, les déchets ménagers organiques sont transformés en engrais biologiques de haute qualité et créent de l’emploi à Cape Town, dans le township de Philippi, grâce à l’entreprise Waste to Food.
    • A Windhoeck, en Namibie, dans un contexte d’important stress hydrique, les eaux usées sont traitées et ré-utilisées pour couvrir  25% des besoins en eau potable de la population.
    • Enfin de nombreux entrepreneurs se saisissent de la question des plastiques pour trouver de nouveaux débouchés à la matière première et secondaire, comme Sais Eddine Laalej au Maroc, ou améliorer la collecte en travaillant avec le secteur informel au Ghana comme Jeffrey Provençal avec Repatrn ou en Côte d’Ivoire comme Salamé Nayef et Recyplast.
  • Les débats l’ont montré : les solutions existent , l’énergie entrepreneuriale aussi, mais il faut également, pour résoudre l’équation “plus d’usagers, moins de déchets”, créer les conditions de changement de comportements de tous les acteurs. 
    • Selon Françoise Bonnet, secrétaire générale de l’Association des Cités et Régions pour la gestion durable des ressources, et Sheryn Ziani de la Coalition pour la valorisation des déchets (COVAD), c’est un ensemble d’obligations et incitations réglementaires et financières et des moyens de contrôles qu’il faut mettre en place pour atteindre des gains économiques, environnementaux et sociaux évidents.
    • Autre levier, la collaboration entre acteurs : grands groupes, start-ups, collectivités. C’est la mission que se donne le Club Abidjan Ville durable, pour accélérer le déploiement de solutions écoresponsables. 
    • Enfin, il faut considérer la question du changement de comportement individuel. Comment sensibiliser et former les consommateurs et producteurs de demain au développement durable, à la sobriété, aux pratiques d’économie circulaire ?  C’est l’affaire de tous et toutes, comme le rappelait Dao Macoura, présidente du réseau des Femmes Elues Locales d’Afrique.

>> Retrouvez dans Le Monde Afrique les points de vue de Jocelyne Landry Tsonang, du Réseau africain d’économie circulaire, sur le potentiel de l’économie circulaire en Afrique et Sénamé Koffi Agbodjinou, sur la ville durable en Afrique, entre tradition et modernité. 

Retrouvez les conférences en photos et vidéos :

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