Le grand défi de la disponibilité des ressources


Depuis toujours, matières premières et énergie sont étroitement liées : il faut environ 10 % de la consommation énergétique du monde entier pour produire des ressources minérales, par exemple, et pourtant les ressources minérales sont indispensables à la production d’énergie, qu’elle soit conventionnelle ou renouvelable.

Cela signifie que la disponibilité des ressources est un grand défi pour la recherche scientifique et technique. À l’occasion de la 10ème conférence internationale de l’Institut Veolia en partenariat avec l’Oxford Martin School, les intervenants ont évoqué plusieurs initiatives développées ces dernières années dans le but de répondre à la question délicate de la disponibilité des ressources.
L’Union européenne a récemment conclu le projet ResCoM , par exemple, portant sur les moyens d’aider les fabricants à concevoir et mettre en place des systèmes en circuit fermé pour les ressources, tandis que la Plateforme de l’économie circulaire présente les mesures prises au sein des entreprises, des gouvernements et d’autres organisations en vue de renforcer la circularité des ressources.

Entre autres programmes et initiatives, citons les rapports réguliers de la Commission européenne sur les matières premières essentielles à l’industrie européenne, dont la première publication remonte à 2011 ; le  Critical Materials Institute du Département américain de l’énergie au Ames Lab, mis en place en 2013 ; enfin le Faraday Challenge au Royaume-Uni, pour ses recherches portant sur les batteries.
 

Recycler les déchets, concevoir pour la circularité

Bien que les recherches menées dans le monde universitaire ou à la demande des gouvernements tendent de plus en plus vers un traitement exhaustif de la question des ressources et des matières premières, les intervenants ont souligné quelques lacunes persistantes.
Pour commencer, les disciplines telles que la science des matériaux et le design industriel devraient davantage prendre en compte les questions de fin de vie et de circularité des produits, par exemple en inventant des molécules et des matériaux qui faciliteraient la récupération, le reconditionnement ou le recyclage à proprement parler.

Certaines recherches pourraient s’intéresser de plus près à la conception de produits utilisant ce qui pourrait autrement être considéré comme des déchets. Charlotte Williams, chimiste des polymères à l'Université d'Oxford, travaille sur des produits en mousse de polymère dans lesquels les charges d'hydrocarbures traditionnelles ont été remplacées par du dioxyde de carbone issu des déchets. Selon elle, une molécule de carbone reste une molécule de carbone. Ce procédé permet de réduire le recours aux produits pétrochimiques, mais il est aussi moins onéreux que les méthodes conventionnelles, et les premiers produits, sans doute des mousses de matelas, devraient être commercialisés dans les deux ans à venir, indique Charlotte Williams.

En matière de recyclage, il est essentiel de veiller à garder les molécules dans la course, déclare-t-elle. Les polymères peuvent être dégradés à des températures beaucoup plus basses que le verre ou le métal, donc, techniquement, ils sont plus faciles à recycler. Pourtant, si la quantité de littérature consacrée à la réaction directe est « vaste, [la] littérature équivalente sur la possibilité de produire le processus inverse est très rare ».

Concrètement, la complexité des matériaux pose des défis supplémentaires, explique Kerstin Kuchta, de l'Université de technologie de Hambourg, qui étudie les moyens de gérer les déchets et de les transformer en ressources. « Dans les flux de déchets ménagers, il y a beaucoup de matériaux complexes que nous ne recyclons pas, car les matériaux sont en constante évolution et les recycleurs n'arrivent pas à suivre ». D'autres intervenants ont souligné les difficultés associées à la récupération et au recyclage des dizaines de milliers de polymères présents sur le marché, et l'utilité des matériaux légers, comme les plastiques renforcés de fibres de carbone, qui permettent aux avions et aux véhicules de fonctionner avec moins de carburant. La recherche peut-elle aider à concevoir des matériaux moins complexes et plus facilement recyclables, répondant aux besoins actuels, et à développer de nouvelles manières de recycler les matériaux pour lesquels il n’existe pas encore de processus de récupération viables ?

Charlotte Williams et Kerstin Kuchta insistent toutes deux sur l’importance de concevoir des processus fonctionnant avec les infrastructures existantes, qui ont généralement une longue durée de vie et dans lesquelles les entreprises ont beaucoup investi. D’un autre côté, explique Kerstin Kuchta, il est très compliqué de développer des technologies de recyclage censées fonctionner pendant plusieurs décennies alors que nous avons une connaissance très limitée du type de déchets qui sera collecté dans 5 à 10 ans. Les collaborations interdisciplinaires pourraient contribuer à développer des matériaux, des processus et des systèmes afin de permettre une plus grande disponibilité des ressources.

La connaissance des matériaux, mais pas seulement

Outre les recherches sur les matériaux complexes, il convient également de trouver de nouvelles sources de matières premières telles que le phosphore, par exemple, dont les dépôts de qualité sont en cours d’épuisement aujourd’hui. La demande d'autres métaux d’extraction appauvrit également les gisements de minerais à haute teneur, ce qui contraint les entreprises minières à utiliser des minerais de qualité inférieure. Selon les intervenants, il serait judicieux que les sociétés minières n’investissent pas seulement dans l'exploration, mais aussi dans la recherche sur la productivité, la gestion des déchets et de l'eau et sur les nouveaux mécanismes de gouvernance internationale pour la production et la consommation de minéraux.

La recherche de nouveaux modèles de gouvernance pourrait également stimuler la disponibilité des ressources de manière circulaire. Paul Ekins de l'University College de Londres, par exemple, propose un modèle dans lequel les vendeurs sont entièrement responsables du devenir des matériaux de leurs produits en fin de vie. D'autres intervenants proposent d'utiliser les villes comme des sites pilotes pour le développement de nouveaux modes d’infrastructures et de transports.
 

Des prises de conscience inégales

L’éducation est un autre domaine où il existe des lacunes : quels aspects des matériaux et des ressources les futurs professionnels et universitaires doivent-ils avoir à l’esprit ?

Il existe de grosses lacunes dans la connaissance des matériaux et des ressources, et ce dans diverses disciplines, notamment l'ingénierie et l'architecture, explique Vernon Collis, ingénieur-conseil et architecte en Afrique du Sud. Les ingénieurs et les architectes ont « un pouvoir et une influence immenses » sur les matériaux et l'empreinte carbone de l'infrastructure, dit-il. Pourtant, aucune des deux professions ne reçoit une formation complète sur les matériaux. Selon lui, les architectes prennent en considération la valeur de conception des matériaux avant de se soucier de leur empreinte, tandis que les ingénieurs n’ont pas souvent conscience du contexte socioculturel.

C’est un aspect particulièrement important dans le monde en développement, à mesure que l’urbanisation progresse, explique Mark Swilling, spécialiste du développement durable de l’University of Stellenbosch. Il donne pour exemple l’utilisation du ciment : le ciment et le béton comptent parmi les matériaux les plus utilisés de la planète et la production de ciment est responsable d’environ 5 % des émissions mondiales de carbone. Pourtant, habiter dans une construction en béton, dans le monde en développement, reste le marqueur de réussite sociale de la classe moyenne.

« [Voilà qui] soulève la question de la formation des professionnels, fait remarquer Mark Swilling. Quand on forme un architecte sans jamais lui parler de l’histoire des matériaux, comment peut-on s’attendre à ce qu’il conçoive des constructions prenant en compte la question de la durabilité ? »

Gestion de l’information et modélisation

En plus des technologies et des matériaux conçus pour l’efficacité et la recyclabilité des ressources, il reste nécessaire de faire des recherches pour développer des modèles capables d’évaluer différentes décisions, des technologies visant à gérer les données et l’information, enfin des scénarios permettant d’aider les décideurs politiques, les entreprises et les autres à comprendre l’impact de nos décisions sur l’avenir.
Par exemple, les projet MEDEAS modélise les effets de la transition vers les énergies renouvelables, y compris sur les ressources matérielles. Les évaluations du cycle de vie, comme celle de Sangwon Suh, de l’UC Santa Barbara, nous aident à comprendre la demande de matériaux pour la consommation et la production et les conséquences des choix de technologies écologiques sur la demande de matériaux. Pendant ce temps, les bases de données aident les fabricants à évaluer quand et où ils auraient intérêt à collecter, reconditionner et réutiliser les produits. Veolia, par exemple, développe une base de données sur les matériaux recyclables, afin d’aider des clients industriels à identifier des sources potentielles de matériaux dans les flux de déchets.

D’autres systèmes de gestion de l’information sont nécessaires pour assurer la traçabilité des ressources tout au long de de la chaîne d’approvisionnement, ajoutent ces intervenants. Il faudrait par exemple effectuer un suivi des effets environnementaux et sociaux des métaux et minerais d’extraction, de retracer et gérer les matériaux de construction à la fin de la vie d’un bâtiment pour que les matériaux puissent être réutilisés ou recyclés.

En fin de compte, la recherche ne devrait pas se contenter de chercher à utiliser les ressources de façon plus efficace, mais à sonder différents leviers pour modifier en profondeur la façon dont nous utilisons les matériaux et consommons les biens et les services. Dans son discours de clôture de la conférence, Antoine Frérot, le PDG de Veolia, a souligné que dans la nature, tout est ressource, et que l'innovation doit essayer d'apprendre de la nature.

« Les cycles naturels des matériaux sont complexes. Les reproduire artificiellement nécessite un haut niveau de savoir-faire et des technologies de pointe, a ajouté Antoine Frérot. D'où la nécessité de poursuivre nos efforts en matière de recherche. »